J. Grinevald: La Biosphère de l’Anthropocène

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Titel
La Biosphère de l’Anthropocène. Climat et pétrole, la double menace – repères transdisciplinaires (1824–2007)


Autor(en)
Grinevald, Jacques
Reihe
Stratégies énergétiques, biosphère & société.
Erschienen
Genève 2007: Editions Georg
Anzahl Seiten
293 p.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Ivo Rens

Le lecteur non averti ne peut manquer de s’interroger en voyant ce titre sur la signification du mot «anthropocène». C’est un terme emprunté aux sciences de la Terre pour désigner la période géologique actuelle marquée par l’avènement de l’humanité en tant que force géologique qui, selon plusieurs chercheurs, a succédé à l’holocène, c’est-à-dire à l’interglaciaire intervenu voici quelque dix mille ans. Autrement dit, c’est la phase d’industrialisation qui commence en Europe et en Amérique du Nord au milieu du XIXe siècle et qui s’est mondialisée depuis la Seconde Guerre mondiale.

La première question que se pose l’historien devant un tel titre est celle de la périodisation. Elle s’explique par la parution en 1824, date antérieure à l’industrialisation, du livre de l’ingénieur français Sadi Carnot, Réflexions sur la puissance motrice du feu et sur les machines propres à développer cette puissance, qui offre la théorie du vecteur technique principal de la révolution industrielle, à savoir les machines à feu, à commencer par la machine à vapeur.

Jacques Grinevald est un philosophe et politologue, mais aussi un historien des idées chevronné comme le prouve cet ouvrage singulier qui est une bibliographie critique de quelques milliers de contributions scientifiques intervenues depuis près de deux siècles pour appréhender les transformations de la biosphère, c’est-à-dire du vivant et de son milieu sur notre planète. Sont mises à contribution, outre les classiques de la thermodynamique, les publications pertinentes des sciences de la Terre, à commencer par la géophysique, la géologie, la paléontologie, la biogéochimie, la climatologie, mais aussi la théorie de l’évolution, l’écologie globale, la bioéconomie et les autres dissidences de la science économique dominante qui ont entrepris d’intégrer l’économie à l’écologie.

Manifestement, l’auteur a suivi l’évolution de ces diverses disciplines depuis plusieurs décennies et il nous livre sa propre vision du monde au travers des controverses épistémologiques qui les ont animées et qui continuent à les agiter. Il me semble que sa vision peut se caractériser par deux thèmes principaux: En premier lieu, il y a l’émerveillement de l’auteur devant le prodige du vivant sur la planète Terre qui se distingue de tous les autres corps célestes connus par la rencontre improbable des conditions préalables au surgissement de la vie voici plus de trois milliards et demi d’années, alors que notre planète et le système solaire luimême datent de quelque quatre milliards et demi d’années. Et son émerveillement à la découverte que la face de la Terre a été très profondément façonnée par le vivant, à commencer par la présence de l’oxygène dans notre atmosphère constitutive de notre biosphère qui culmine elle-même dans l’apparition de la noosphère. En second lieu, il y a sa perception des menaces qui pèsent sinon sur notre planète, du moins sur son habitabilité. Ces menaces sont multiples et procèdent toutes de ce que l’auteur dénomme la civilisation thermo-industrielle qui est ellemême assujettie aux lois de la thermodynamique lesquelles régissent le fonctionnement non seulement des moteurs des machines à feu, mais tous les processus économiques.

Parmi ces menaces figurent bien sûr les guerres qui, depuis la révolution industrielle, occasionnent des dégâts sans commune mesure avec ceux infligés par les guerres antérieures. La menace ultime serait évidemment la guerre nucléaire. Mais, pour notre auteur, deux menaces prennent le pas sur toutes les autres, à savoir la menace climatique et la déplétion du pétrole et des autres combustibles fossiles, parce qu’elles instaurent l’irruption inexorable des temps géologiques dans notre quotidien.

L’auteur retrace l’émergence de la connaissance scientifique de l’atmosphère et du climat avec notamment les contributions du savant suédois Svante Arrhenius dès la fin du XIXe siècle et de l’Américain Charles D. Keeling qui mesura l’accroissement continuel du dioxyde de carbone dans l’air à partir de 1957. La combustion des énergies fossiles inhérente au mode de vie industriel est le principal facteur du renforcement de l’effet de serre. D’où l’allusion récurrente dans la littérature scientifique dès les années 1950 à l’expérience géophysique grandeur nature qu’opérerait l’espèce humaine sur l’atmosphère et donc le climat. Un très large consensus scientifique s’est dégagé sur les conséquences certaines de ce phénomène et il a provoqué un début de réaction internationale avec la signature en 1992 de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, puis en 1998, du Protocole de Kyoto, toujours non ratifié par les Etats-Unis d’Amérique. Mais ces instruments juridiques, même appliqués par toutes les puissances, sont-ils à la mesure des enjeux? Certains scientifiques n’excluent pas un emballement du réchauffement climatique qui pourrait même échapper à tout contrôle possible … Curieusement, la prise de conscience de la prochaine déplétion du pétrole est presque parallèle à celle de la menace climatique. C’est en effet dans les années 1970 – celles des premiers et deuxième chocs pétroliers – que la prévision du géologue et géophysicien américain Marion King Hubbert quant au début du déclin de la production américaine de pétrole s’avéra exacte. Comme il l’avait calculé dès 1956, le «pic pétrolier» des Etats-Unis (Alaska non comprise) intervint autour de 1970. Depuis lors, son modèle de prévision, transposé à l’échelle planétaire, a donné lieu à des pronostics de déplétion, dans quelques décennies selon certains spécialistes, imminente selon d’autres. Or, le déclin du pétrole, suivi par celui du gaz, et leur renchérissement ne peuvent manquer d’avoir d’immenses répercussions sur nos sociétés, voire sur la survie de notre civilisation industrielle.

L’ouvrage encyclopédique de Jacques Grinevald constitue une incursion transdisciplinaire dans les publications clés consacrées à ces deux menaces appartenant aux différentes disciplines que nous avons mentionnées, ainsi qu’à la philosophie, mais parmi lesquelles les sciences sociales sont dramatiquement sous-représentées. Cela tient, selon l’auteur, à leur compartimentalisation disciplinaire et à la prégnance qu’y exerce le dogme de la croissance propagé par la science économique dominante. Pour la seconde édition, qu’il envisage dès son Introduction, je me permets de suggérer qu’il ajoute quelques références aux publications des juristes pionniers de ce qu’il est convenu d’appeler le droit (international) de l’environnement tels Christopher D. Stone et Alexandre Kiss.

Citation:
Ivo Rens: Compte rendu de: Jacques Grinevald: La Biosphère de l’Anthropocène. Climat et pétrole, la double menace – repères transdisciplinaires (1824–2007). Genève, Georg, 2007. Première publication dans: Revue suisse d’histoire, Vol. 58 Nr. 3, 2008, pages 364-365.

Redaktion
Veröffentlicht am
03.02.2012
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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